Sunday, April 20, 2008

Rétention de sûreté

Rétention de sûreté

Le 9 janvier 08, l’assemblé nationale a adopté un texte de loi instaurant le dispositif dit de la rétention de sûreté. Ce texte, qui sera discuté au sénat dès le 30 janvier, instaure la possibilité de maintenir en rétention un détenu dont la dangerosité a été établie. Ainsi donc une personne ayant purgé sa peine, mais qui demeure notoirement dangereuse et qui commettra très probablement des crimes ou délits dès sa sortie, sera transférée après sa peine dans un établissement où il restera retenu.

Cette nouvelle disposition paraît très intéressante à une première lecture. Elle donne une réponse efficace à la peur de tout un chacun de voir « relâché dans la nature » de véritables bombes à retardement qui ne pourront s’empêcher de récidiver dès leur libération. Pour autant ce concept a toutes les caractéristiques de la fausse bonne idée qu’on peut pronostiquer inefficace et contre productive.

Pour le juriste il y a de quoi réagir très vivement. Robert Badinter a exprimé le 27 novembre 07 de vives réserves quant au principe d’une rétention après que le condamné ait purgé sa peine. Ce texte contourne en effet le roc d’un principe fondateur du droit. Parce que tout être humain est réputé doué de raison, il doit répondre de ses actes devant un tribunal indépendant qui, après un procès contradictoire fixera une peine. Or cette notion est battue en brèche par une rétention additionnelle qui pourra être ajoutée à celle de départ indépendamment de la peine encourue. Ce point est particulièrement problématique pour les enfants, puisque l’éventualité est rendue possible qu’un mineur de plus de 15 ans soit privé de sa liberté sans limite de temps, s’il est devenu majeur au cours de sa détention initiale.

Pour le psychiatre les questions sont tout aussi graves. En effet, même si le législateur a prévu de confier la décision à un collège d’experts, la responsabilité qui leur incombe devient énorme. L’appréciation de la dangerosité reste un exercice extrêmement incertain. En particuliers les experts psychiatriques soulignent que s’ils savent établir des diagnostics ils ne savent pas faire des pronostics. Or, si le pronostic de dangerosité est impossible à énoncer en l’état actuel de la science, que dire de celui de non dangerosité. Il faut le souligner, rien ni personne ne peut garantir qu’un détenu qui présente un très bon profil à sa sortie, ne récidivera pas quelque temps plus tard en raison d’un choc émotionnel par exemple. Gageons que les experts, connaîtrons des difficultés inextricables et qu’ils commettrons des erreurs puisqu’on leur demande une tâche impossible. De futurs meurtriers passeront au travers des mailles du filet qui gardera un grand nombre de gens dont personne ne pourra dire s’ils étaient, ou non, véritablement dangereux. Ou alors, pour peu que la responsabilité des experts puisse être engagée, ils ne prendrons alors jamais le risque d’établir un pronostic de non dangerosité.

Pour l’éducateur que je suis, le sentiment qui domine est l’accablement. Une fois de plus on a privilégié une solution pour sa lisibilité médiatique au détriment de son efficacité. Je peux témoigner de l’impossibilité d’établir un pronostic de dangerosité fiable. Dans l’exercice de mon métier, j’ai pu connaître un certain nombre de personnes qui défraient maintenant la chronique judiciaire. Or, bien que je les ait côtoyées au quotidien, de nombreuses années ; bien que dans mon équipe professionnelle il y ait eu de nombreuses personnes très qualifiées, je suis toujours surpris de constater quels sont ceux qui ont commis des crimes ou des délits. De même certains, après avoir connu un parcours de grande délinquance se sont inexplicablement « rangés » contrairement à d’autres qui paraissaient plus dangereux au départ.

Lorsqu’on entre dans les détails, pour les personnes que j’ai eu à connaître, on découvre qu’elles avaient un potentiel intellectuel faible et une véritable difficulté à se situer dans l’espace social. Ceci est particulièrement vrai pour les délinquants sexuels. Or il serait possible d’imaginer pour eux un encadrement éducatif et social assez serré, s’étalant dans la durée en commençant bien avant la sortie et continuant après dans une sorte de service de suite.

Un dispositif personnalisé établi dans la durée, est sans doute celui qui est le plus efficace. Or, de nombreux services existent déjà au sein de l’institution pénitentiaire et seraient parfaitement à même de remplir ces objectifs[1]. La véritable difficulté c’est qu’ils, n’arrivent pas à s’acquitter de leurs tâches malgré les compétences individuelles des travailleurs sociaux. En effet le manque dramatique de moyens de l’institution pénitentiaire ne permet pas qu’un suivi véritablement opérant des détenus puisse s’établir.

Il faudrait arriver à véhiculer l’idée que de meilleures conditions d’incarcération n’ont pas que pour effet d’améliorer le confort des détenus, mais surtout d’améliorer l’efficacité des services d’insertion et de probation. Si ces services étaient renforcés à la hauteur de ce que coûtera cette réforme, il serait possible d’obtenir des résultats bien supérieurs. Il n’y aurait alors pas besoin de passer par ces contorsions juridico-psychiatrique. Les experts se retrouveraient en devoir de prononcer des diagnostics servant de jalon pour une prise en charge sur la durée. Mais surtout ce dispositif prendrait en compte tous les détenus sortant de prison et non seulement ceux ayant été estimés dangereux selon des critères hasardeux. Il est évident que les responsables de ce dispositif auraient une bien meilleure connaissance des détenus et sauraient alors prévenir les récidives.

Ce type de décision est politique dans le meilleur sens du terme. La responsabilité des hommes (et femmes) politique est importante. Il s’agit pour eux de résister aux peurs les plus immédiates de leurs concitoyens et de soutenir les méthodes les plus efficaces. Cependant elles ont aussi le désavantage d’être plus complexes, moins rapidement perceptibles par l’opinion et, en fin de compte, moins rentable en terme électoral. Les sénateurs auront-ils plus de courage que les députés ?

jean marie VAUCHEZ

Jmvauchez@free.fr



[1] A la lecture du projet de loi on est surpris de voir qu’il est proposé au détenu, dans le cadre de la rétention de sûreté, une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la rétention. Mais alors, si la rétention de sûreté est l’occasion d’un véritable suivi médico-social on ne peut que se demander pourquoi cela n’a pas été fait du temps de l’incarcération !

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