Sunday, March 12, 2006

outreau

C’est un petit juge, tout gris, assis à une table bien trop grande pour lui. Le lendemain, c’est un procureur bien plus à l’aise qui déclare que « l’instruction c’est le papier, l’humain arrive au moment de l’audience » C’est étonnant comme le papier que l’on pourrait penser objectif et serein, peut se laisser influencer par l’air du temps !

Pour ma part, je participe depuis quelques temps déjà à une réflexion de l’OJEVIM (Observatoire Jurassien des Enfants Victimes de Maltraitances) dans le groupe ressources traitant des enfants auteurs d’agressions sexuelles. Après avoir auditionné de nombreuses institutions pour faire un état des pratiques éducatives, judiciaires et médicales concernant ces enfants, notre constat premier est justement ce climat émotionnel qui étreint l’ensemble des acteurs lors de la révélation de faits d’agression sexuelle. Nous constatons facilement que ce climat, a un effet très puissant en « grippant les capacité à penser ».

Gérald Lesigne, procureur de la République à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire et a eu ces mots :

« Comment une collectivité a pu adopter un positionnement de cette nature ? Je ne vois qu'une seule explication, celle du mythe de la pédophilie. Un mythe très puissant, qui serait venu s'autoalimenter par les indices fournis par les uns et les autres et par l'incapacité du système à poser cette analyse. »

Fin 2004 paraissait un livre, « justice injuste » d’acacio pereira. Il relatait, de manière très méthodique le premier procès d'outreau et montrait, déjà les incohérences dramatiques de cette affaire. En retrouvant ce livre, j'ai repensé à cet article de Freud : Ein Kind wird geschlagen (un enfant est/vas être battu) paru, en 1919.

Dans cet article, Freud s’étonne de la constance du fantasme « un enfant est battu » dans les analyses d’adultes. Au cours de son élaboration, il noue ce fantasme à sa théorie de la sexualité infantile. Il en fait la résurgence à l’age adulte, des conflits enfantins et montre que ce fantasme est la résultante de désirs incestueux de l’enfant. Freud n’hésite pas à faire de ce trait particulier le révélateur d’une donnée générale de la constitution des enfants : « Ces observations peuvent être exploitées dans plusieurs directions pour mettre en lumière la genèse des perversions en général et du masochisme en particulier et pour apprécier le rôle que joue la différence des sexes dans la névrose en général »

Plus loin, il écrira aussi : « La perversion ne se tient plus isolée dans la vie sexuelle de l'enfant, elle est au contraire accueillie dans le contexte des processus de développements typiques - pour ne pas dire normaux que nous connaissons »

Et si Freud avait raison ? Il y aurait un travail passionnant de recherche à faire autour de ce thème des folies collectives. Si on considère que chaque enfant est concerné par la douloureuse difficulté de la normalisation et de la structuration de sa sexualité, on peut imaginer que chaque adulte a des cicatrices semblables, plus ou moins marquées, plus ou moins bien refermées.

Cette piste permettrais peut être de formaliser et de mieux comprendre « le climat » ; « le mythe » responsable des emballements collectifs qui conduisent les meilleurs professionnels à prendre des décisions aberrantes.